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Causerie

Sa Majesté l'hiver vient de faire son apparition brusquement et rudement. Guibolard dirait que ça a jeté un froid. Mais nous voilà à la veille de Noël et, décemment, nous ne pouvons exiger que l'été de la Saint- Martin se prolonge jusqu'au mois de janvier. Et puis ce froid sec a ses agréments. Les patineurs ont déjà envahi les jeux de boules transformés en skatings par des industriels ingénieux, qui ont dû faire de belles recettes dimanche. La glace n'en vaut peut-être pas celle du lac de la Tête-d'Or et l'espace en est restreint, ainsi que le paysage. Mais en revanche on n'y craint point de prendre un bain imprévu et l'on n'a pas besoin de se conformer prudemment au fameux précepte : Glissez, mortels, n'appuyez-pas !

Je ne sais même pas si un peu de frimas n'augmente point la sensation de bonheur intime que donne le foyer de famille. Il faut avoir eu froid dehors pour goûter complètement la douce tiédeur du chez soi, les pétillements du bois sec qui s'enflamme ou les ardeurs du charbon embrasé. Comment apprécier pleinement la bûche de Noël sans la gelée qui dessine sur les vitres de si beaux festons ?

Il est encore une autre gelée qui ne déplait point aux approches du 25 décembre : c'est celle qui tremble autour des victuailles du Réveillon. Oh ! les boutiques de charcutiers la nuit de Noël ! Les jambons à la chair rose, les longs chapelets de saucisses, les grasses rotondités des andouillettes, les mosaïques de la « tête roulée », les majestueuses carènes des volailles de Bresse où les truffes font des taches bleues sous la peau blanche ! Cette accumulation de comestibles, flamboyant sous la lumière crue de l'étalage, évoque des idées de mangeailles rabelaisiennes et grandioses, de longues beuveries flamandes, et malgré soi, devant une telle apothéose de la charcuterie, on murmure le vers de ce pauvre Monselet : Cochon ! animal Dieu ! cher ange !

Je préfère pourtant, à ces jouissances de l'estomac qui sont de tradition, d'autres joies moins matérielles. N'est-ce pas un plaisir exquis de donner aux enfants —aux tout-petits qui tiennent une place si grande dans nos coeurs — un avant-goût des étrennes, en glissant secrètement dans leurs petits souliers les cadeaux du bonhomme Noël ?

Mais le plus doux c'est encore de leur conter les vieux récits mystiques qui ont bercé notre, enfance. Ces histoires naïves ne servent pas seulement à intéresser les bébés jusqu'à la passion, elles éveillent encore, dans le coeur de celui qui les narre, des souvenirs attendris et comme une remontée de prime jeunesse...

Le livre toujours vert des antiques légendesEst comme un vieux jardin qu'embaume le printemps.

Il s'est fondé depuis peu à Paris toute une série de théâtres qui se sont donné pour mission de régénérer l'art dramatique. Théâtre-Moderne, Théâtre-d'Art, Théâtre- Réaliste : autant de nouvelles scènes qui se disputent la palme de l'art décadent et qui se livrent à un véritable steeple-chase d'incohérences et de fumisteries.

On vient de jouer récemment, sur les planches de l'un de ces théâtres, une adaptation du Cantique des Cantiques due à la plume d'un esthète fin de siècle. Il parait qu'on ne s'est pas « embêté » à cette représentation. D'abord le texte biblique est pieusement respecté. Pendant près d'une heure les spectateurs ont eu le régal d'un long duo d'amour agrémenté de phrases dansée genre : O mon bien-aimé! ton visage brille comme le cèdre du Liban, ta bouche est un pot de miel... O ma bien-aimée ! la tête est un boisseau d'orge, ton ventre une tour d'ivoire, tes mamelles sont des agneaux bondissants...

Chacun des personnages qui débitent ces jolis madrigaux est accompagné d'une lumière spéciale, conforme à ses sentiments et à la couleur des phrases qu'il débite — car nos auteurs symbolistes ont découvert que les mots et même les voyelles ont une couleur propre. C'est ainsi que les acteurs se présentent sur la scène lumineusement colorés en rouge, jaune, bleu ou vert comme des bocaux de pharmacien. Mais ce n'est pas tout. Un orchestre invisible fait entendre aux bons endroits une musique appropriée. Enfin — originales et suprêmes délices ! — on brûle par le trou du souffleur des parfums variés, choisis suivant l'intensité des sentiments vécus sur la scène: opoponax, chypre ou lubin pour les phrases violentes, iris, ambre ou violette pour les passages discrets. Je vous le demande, comment ne pas se pâmer ?

Cette application de la parfumerie au théâtre, n'irait pas sans inconvénients, en certains cas. Imaginez qu'on veuille l'adapter au programme joué cette semaine sur la scène du Théâtre-Réaliste : « La Prostituée, scène naturaliste en deux tableaux, et l’Avortement, étude sensationnelle des manoeuvres abortives ». Il faudrait évidemment des odeurs congruentes au texte. Ce que ça sentirait mauvais !

La dernière de Jean Hiroux : La scène se passe le 19 décembre dernier au tribunal correctionnel de Rouen. Interrogé sur sa profession, l'inculpé répond gentiment: Fabricant de vessies hygiéniques pour la magistrature ! !
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